« Se sauver des trucs de l’enfance ». C’est ce que tente désespèrement de faire Elias, un trentenaire taiseux et énigmatique. Tout l’inverse d’Avril, jeune femme solaire et assurée qui partage depuis peu sa vie et qui lui conseille d’écrire son autoportrait pour faire table rase du passé.
Si le jeune homme a quitté depuis longtemps le foyer familial, embrassant une carrière de libraire, il ne s’est en effet pas pour autant détaché de l’influence de son père, un sorcier magnétiseur, magicien et guérisseur. Son enfance a été un brin écorchée par les rituels mystiques, les litanies autour des dolmens et autres délires spirituels que lui faisait subir son géniteur. Difficile pour lui de faire hourvari, une ruse du chevreuil qui consiste à tromper ses traqueurs en revenant sur ses traces. Car l’animal totem d’Elias est bien le chevreuil, son père le lui a dit, un chevreuil qui tente de semer ses souvenirs d’enfance qui l’attendent à l’orée du bois.
Dans cet autoportrait, deux voix viendront s’ajouter à la sienne, constituant les deux autres parties du roman : celle d’Avril, un printemps, qui vient apporter un éclairage nouveau sur son ténébreux compagnon et celle du père d’Elias, qui offre les dernières pièces essentielles au puzzle.
Avec Autoportrait en Chevreuil, Victor Pouchet signe un roman poétique, où la langue sibylline ensorcelle et plonge le lecteur, au cœur même de son personnage aux souffrances et souvenirs chargés d’ondes mystiques. Si le lecteur s’attend à certains jugements de la part d’Elias, il n’en est rien. Le narrateur reste tout en retenue, touchant dans sa manière de vouloir continuer à préserver l’image de son père pourtant si singulier.
Histoire du Fils de Marie-Hélène Lafon, semble être le miroir du roman de Victor Pouchet. Si Autoportrait en Chevreuil porte sur la présence envahissante du père, la romancière dresse quant à elle une saga familiale bâtie sur l’absence de ce dernier. L’histoire est celle d’André Léoty, fils de père inconnu et de Gabrielle, une mère indépendante qui le laisse aux bons soins de sa tante Hélène et de son oncle Léon. Le récit pourtant très court (170 pages) s’étend sur plusieurs années, de 1908 à 2008, parcourant la génération du père absent Paul Lachalme, celle de son fils et enfin de son petit-fils Antoine. À l’image du récit, les secrets et non-dits traversent également les siècles. Si l’identité du père est connue de certains, André ne la connaîtra que tardivement et ne pourra finalement jamais le rencontrer. Seul le lecteur comprend cette filiation manquée, balayée par un drame inaugural et compliquée par la jeunesse du père, qui n’avait que 20 ans lors de sa rencontre avec sa mère. Mais l’ancrage paternel ne serait-il pas finalement celui de la terre, le Lot, et plus particulièrement Figeac, que chacun des personnages ont en commun ?
Histoire du fils est un roman dense qui s’empare de la question des origines avec une remarquable justesse. L’écriture de Marie-Hélène Lafon, professeure agrégée de lettres classiques, est stylistiquement très travaillée, composée de belles tournures que l’on aimerait voir déclamées L’importance des mots est centrale. Souvent accumulés, ils tentent de définir ce père qui manque d’adjectifs ou tout du moins de combler le vide qu’il a laissé.