ART

Pierre Soulages – Yves Klein

Depuis cet été, le maitre incontesté du noir accueille son pendant azur. Pierre Soulages avait déjà ouvert son musée à des artistes de renom comme Picasso en 2016, Alexander Calder en 2017 et Le Corbusier en 2018. Cependant, aucun ne se rapprochait autant de sa démarche artistique qu’Yves Klein.

Cette proximité se retrouve dans les espaces du musée. L’univers coloré de Klein jouxte l’univers sombre de Soulages. On chemine à travers le noir pour déboucher sur un lac de pigment bleu.

Ce qui me plaisait par-dessus tout, c’était les pigments purs en poudre, tels que je les voyais souvent chez les marchands de couleurs en gros. Ils avaient un éclat et une vie propre et autonome extraordinaires. C’était la couleur en soi véritablement. La matière colorée vivante et tangible.

Yves Klein L’aventure monochrome, 1958.

Chacun avec sa couleur, les deux artistes jouent avec la puissance du monochrome. Ils ont trouvé dans le pigment, un matériau qui permet de réaliser des contrastes, des effets de matière mais surtout qui diffuse la lumière. Cette dernière est essentielle dans leurs créations. Chez le peintre de l’obscur, elle s’allie au noir pour créer « l’Outrenoir », néologisme imaginé par Soulages pour désigner ce « noir lumière » qui anime ses tableaux. Dans les créations de Klein, elle constitue ce pigment bleu si particulier, à la fois mat et lumineux.

La monochromie est la seule manière physique de peindre – permettant d’atteindre à l’absolu spirituel.

Yves Klein, L’aventure monochrome : l’épopée monochrome, 1960

Pour Soulages comme pour Klein, le monochrome est un accès vers l’ailleurs, un au-delà immatériel qui dépasse la figuration. Cette quête d’absolu dans la monochromie semble être le lien entre leurs univers. Le peintre azur déclare « le bleu d’outre-mer, c’est la mer, le ciel, mais aussi l’espace et l’infini.. Seul le bleu résonne de façon spirituelle et immatérielle ». Le maitre de l’obscur lui répond avec son noir lumière. Deux poésies de la monochromie.

 

 

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ART

Steve McCurry : photographe de l’humanité

Steve McCurry est une grande figure de la photographie contemporaine. Voyageant aux quatre coins du globe, il explore les contrées lointaines à travers son appareil photo. Curieux du monde et attentif à l’inattendu, il célèbre la différence culturelle tout en rassemblant sous une humanité commune.  Ses photos, qui cherchent à développer une nouvelle perception du monde et de l’humain, donnent une importance capitale à la lumière et aux couleurs. McCurry, en révélant la beauté d’un visage ou d’une action, nous donne accès à l’histoire derrière la photographie, qui peut parfois être tragique. Une histoire à la fois singulière et universelle. En tant que spectateurs, nous nous retrouvons face à une autre humanité, une autre culture, qui est souvent éloignée mais qui par la photo devient soudainement très proche. Pour reprendre les propos de Sebastiao Salgado , immense photographe : « La photographie est un langage universel, ce que l’on écrit en photographie, on peut le lire en France, en Chine, au Japon sans filtre dessus, sans traduction. »

Pour ma part, cette rencontre fut saisissante et émouvante. J’ai rarement été aussi subjuguée par une exposition photographique. J’ai pu notamment découvrir la célèbre « Afghan Girl » qui a fait la couverture du National Geographic de 1985. Je vous laisse découvrir le travail de Steve McCurry à travers ces quelques clichés que j’ai pris durant l’exposition à la Galerie Ambit (Prague) et vous invite vivement à aller sur son site : https://stevemccurry.com


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« The Afghan Girl » Peshawar, Pakistan (couverture du National Geographic de 1985)

 

 


 


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Porbandar, Inde


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Bombay, Inde, 1996


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Rajasthan, Inde


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Chiang Mai, Thailande

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Sri Lanka


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Rajasthan, Inde

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Zhengzhou, Chine


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Alto Churumazu, Yanesha, Pérou


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New-York, 2001


ART

Sophie Calle : Révélatrice de l’intime.

Sophie Calle est à la croisée des arts. À la fois plasticienne, photographe et cinéaste, elle s’est rapidement imposée sur la scène artistique contemporaine. Ses oeuvres sont singulières, parfois déroutantes, et s’inscrivent dans une perpétuelle mise en scène de sa vie ou de celle des autres. Questionnant la limite entre la sphère privée et publique, tout en jouant avec la porosité de leur frontière, l’artiste mêle l’art et la vie, l’intime et le public. Ses thématiques de prédilection sont l’absence et le manque.  Son oeuvre est une exhibition de l’intimité, du « je », qui se décline sous diverses formes ( auto-fiction, reportages, témoignages…), et qui se cristallise autour de la photographie. Par cette place prépondérante de l’intime, le regard du spectateur se confond rapidement avec celui du voyeur. Et pour cause, l’artiste prend appui sur des expériences pour le moins singulières, qui nous invitent à envisager la vie comme une performance artistique.

Je ne retiens que trois de ses principales créations, mais je vous invite vivement à découvrir les autres.

Les dormeurs

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« Je voulais que mon lit soit occupé vingt-quatre heures sur vingt-quatre, comme ces usines où on ne met jamais la clé sous la porte. J’ai donc demandé aux gens de se succéder toutes les heures pendant huit jours. Je prenais une photographie toutes les heures. Je regardais dormir mes invités. […]. Une des personnes que j’avais invitées à dormir dans mon lit et que j’avais rencontrée dans la rue, était la femme d’un critique d’art. Quand elle est rentrée chez elle, elle a raconté à son mari qu’elle était venue dormir huit heures dans mon lit et il a voulu voir de quoi il s’agissait. Et c’est comme ça que je devenue artiste. »

En 1979, à la suite de la remarque d’une amie sur « la tiédeur des draps », Sophie Calle décide d’inviter des inconnus à venir dormir dans son lit pour quelques heures, afin qu’il soit occupé sans arrêt durant huit jours. Elle photographie ces « dormeurs » et retranscrit les conversations qu’ils ont eut, leurs positions… C’est avec ce travail photographique et performatif qu’elle fera son entrée officielle sur la scène artistique. Les dormeurs lui vaudra en 1980, l’invitation à la Biennale de Paris par le critique Bernard Lamarche-Vadel.

Dans cette performance, le lit, espace de l’intime par excellence, devient un lieu de passage et de rencontres. L’abandon au sommeil sublimé par la photographie, s’accompagne d’un texte où le dormeur se livre sur sa vie (rêves, regrets, habitude de sommeil..). Sophie Calle retranscrit quant à elle, ces témoignages dans un style se rapprochant sensiblement du nouveau roman, minimaliste et succinct. Un reportage au coeur du sommeil, qui nous plonge dans l’intimité d’une chambre ouverte, où se mêle anecdotes de vie et poses alanguies.

Les Aveugles 

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Autre oeuvre majeure de l’artiste, Les Aveugles, qui fait partie de mes préférées. Sophie Calle donne la parole à des personnes non-voyantes (de naissance ou suite à un accident) et leur demande de lui décrire leur conception de la beauté et le moment où ils ont été le plus frappés par cette dernière. À partir de ces témoignages, l’artiste nous invite à réfléchir sur l’absence de la vue, et comment cette privation peut nous amener à percevoir différemment les choses. Le visible devient l’invisible mais se teinte paradoxalement de nouvelles couleurs : une des personnes interrogées déclare par exemple, que lorsqu’il entend une voix, son cerveau lui attribue une couleur. Cette nouvelle perception est mise en valeur par Sophie Calle, qui associe aux témoignages de ces non-voyants, des photographies, en lien avec le moment qu’ils décrivent. Une oeuvre poétique et sensible, qui renverse notre conception du monde visible.

Douleur exquise 

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Sophie Calle avec Douleur exquise exploite de manière artistique, sa douleur, suite à sa rupture avec un mystérieux M (qui sera plus tard reconnu comme étant Martial Raysse), survenue au terme de son voyage au Japon. Cette oeuvre était à l’origine exposée au Centre Pompidou en 2003, puis a été reprisé et éditée par Actes Sud. Le recueil est agencé en trois volets : Avant la douleur qui est un compte à rebours de quatre-vingt-douze- jours (durée de son voyage), à travers des photographies pouvant être accompagnées ou non de texte et tamponnées en rouge de J-92 à J-1  ; Lieu de la douleur qui est une photographie de la chambre d’hôtel à New Delhi où devaient se retrouver les deux amants au retour de Sophie Calle et où finalement l’artiste recevra un coup de téléphone de M lui annonçant qu’il ne peut finalement pas être là et qu’il a rencontré une autre femme ; et Après la douleur qui reprend le compte cette fois ci à J+1 jusqu’à + 99 et se constitue de 72 diptyques identiques :  la page de gauche étant destinée au récit de rupture de Sophie Calle accompagnée d’une photographie de la chambre de New Delhi et la page de droite aux récits d’anonymes qui racontent à l’artiste le jour où ils ont le plus souffert, toujours illustrés par une photographie.

Douleur exquise semble être au premier abord un énième recueil issu d’une rupture amoureuse. Or, Sophie Calle par son statut de plasticienne, sublime et met en scène l’événement douloureux. La photographie et le texte collaborent ensemble dans cette exhumation de la souffrance. Le voyage au Japon de l’artiste qui est donné à voir dans le volet Avant la douleur est dénaturé car il n’est plus que « cet avant rupture » et support d’un décompte tragique.

Mais l’originalité de ce travail réside dans la mise à nu de l’intime et la participation d’autrui dans cette extériorisation. L’artiste fait régulièrement participer des anonymes dans ces projets, et Douleur exquise ne fait pas exception. Les récits douloureux mis en confrontation avec la scène de rupture à New Delhi, enclenchent un processus thérapeutique. Le lecteur lui même est amené à relativiser la souffrance de l’artiste à la lecture de ces témoignages. L’oubli est également mis en scène et montre le caractère éphémère de certaines douleurs : au fil des pages le récit de la rupture de Sophie Calle s’efface, seul le témoignage de l’anonyme reste, comme une invitation à décentrer son regard sur la souffrance d’autrui.