LIVRE

Moi, Dora Maar – Nicole Avril

Tout commence par une rencontre. Paul Eluard, accompagné de son ami Pablo Picasso, pousse les portes du Café des Deux Magots. Au coin d’une table, une apparition en « rouge et noir » s’amuse à planter son canif entre ses doigts écartés. Interpellé, le peintre cubiste saisit la main sacrifiée et pose pour la première fois son regard sur Dora Maar. Agée de 28 ans, la jeune femme est une photographe reconnue, audacieuse et libre. Un profil qui ne peut que susciter l’intérêt artistique du peintre, alors âgé de 54 ans, connu pour son appétit dévorant. Mais ce dernier n’effraie pas Dora Maar qui s’abandonne, sentant que « ce regard serait pour elle inoubliable ».


C’est à cette femme qui s’est entièrement donnée à l’art au détriment d’elle-même, que Nicole Avril consacre un roman intitulé « Moi, Dora Maar » et non une biographie. Un choix qui peut sembler audacieux, mais qui permet de saisir cette relation complexe, qui joue sans cesse avec la limite entre passion et emprise.

Dès les premiers instants de l’idylle, Dora Maar, photographe et artiste, s’éclipse pour devenir la Muse. Picasso la façonne selon son désir. Elle devient la victime du Minotaure, sur la toile comme dans la vie, mais également « la femme qui pleure », un état auquel elle sera longtemps réduite.

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Témointe privilégiée de l’élaboration de Guernica, qu’elle photographiera tout au long de ses métamorphoses, Dora Maar servira l’oeuvre de Picasso comme jamais une autre femme ne l’a fait. Elle lui fera traverser le contexte sombre de la guerre d’Espagne et de la Seconde Guerre mondiale, en étant une éternelle source d’inspiration.

Cette première place aux côtés du célèbre Pablo Picasso se gagne au prix de sacrifices. La photographe doit composer avec les autres femmes de la  vie du peintre : les passagères, comme les inconditionnelles : Marie-Thérèse Walter, mère de sa fille Maya et son ex-femme Olga Khokhlova avec qui le peintre restera marié jusqu’à la mort de cette dernière.

L’écriture de la romancière, tantôt incisive tantôt passionnée, exalte les sentiments de la photographe, rongée par la jalousie, qui plie pourtant sous le poids du Génie. Une justesse d’écriture qui se confirme lorsque Dora Maar sombre dans la folie, délaissée par son peintre, qui lui préfère la jeune Françoise Gilot. Point de jugement ou d’incrimination du bourreau, mais une fidélité inconditionnelle sublimée par les mots de Nicole Avril. Dans une volonté d’égaler cet amour absolu, Dora Maar se tournera vers la religion catholique, vivant recluse dans sa maison de Ménerbes, entourée des souvenirs laissés par le peintre.

Bien qu’aujourd’hui encore, le nom de Dora Maar soit associé à celui de Picasso, la jeune femme est reconnue pour son travail photographique surréaliste et engagé. Une postérité artistique à laquelle participe ce roman, qui redonne une voix à la Muse.

Je sais qu’on m’attribue cette phrase : « Après Picasso, il n’y a que Dieu. » Si je ne l’ai pas dite, je le regrette. Et si je l’ai prononcée, je ne la renie pas. »

 

 

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