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« Les vestiges du jour » de Kazuo Ishiguro

Un prix Nobel peut être intimidant. Prestigieuse récompense qui confère l’éternité à un auteur , elle fait aussi sa renommée, et marque à jamais son oeuvre d’un ruban rouge.  En 2017, cette auréole pourpre a été décernée à Kazuo Ishiguro, auteur anglo-japonais, pour son roman Les vestiges du jour.

Mr. Stevens est un majordome émérite. D’une loyauté sans failles, il sert ses employeurs avec professionnalisme, anticipant leurs moindres désirs.  Il gère Darlington Hall d’une main de maitre, persuadé de contribuer à la renommée de sa maison par son service irréprochable. Majordome de Lord Darlington dans les sombres années 1930, période marquée par l’installation du nazisme en Europe, puis de Mr. Farraday, riche américain dans les années 1950, Stevens voit sa profession évoluer. Un jour, doutant de la satisfaction de son employeur, ce dernier décide d’entreprendre un voyage dans les Cornouailles, afin de rendre visite à Miss Kenton, ancienne gouvernante de la maison. Son expédition sera l’occasion pour lui de revenir sur sa carrière, sur sa conception du majordomat et sur la conduite pour le moins douteuse de Lord Darlington dans l’entre-deux guerres…

Kazuo Ishiguro nous ouvre l’intimité d’un majordome dans la pure tradition anglaise. Habité par sa profession, Mr. Stevens est constamment dans la maîtrise, au point de paraître parfois artificiel. Sa retenue prend le pas sur ses opinions et ses émotions, et le fera passer à côté d’une potentielle histoire d’amour.

Il est pour le moins déconcertant de se retrouver face à un tel personnage Bien que la loyauté et la quête de perfection de Mr. Stevens forgent le respect et l’admiration,  sa dévotion totale au travail frôle souvent le pathétique.

Ce dernier arrive à son apogée, lorsque le père de Mr. Stevens, grand majordome en son temps, décède seul, dans une chambre inconfortable, semblable à une cellule de prison. Stevens ne sera pas à son chevet, entièrement dévoué au service du soir. Le deuil du majordome, sera substitué au triomphe du service et de sa dignité.  A cette servitude se lie une conception quelque peu utopiste : Mr Stevens souhaite contribuer au progrès de l’Humanité et de l’Histoire en servant les hauts personnages comme Lord Darlington.

Cependant, cette contribution ne passe par aucune réflexion ni opinion personnelle, ce qui aura parfois pour conséquence des actions condamnables comme le licenciement de deux femmes de chambres pour le seul motif que ces dernières sont de confession juive. Pour autant, la réflexion retrouvera sa place lors de l’expédition dans les Cornouailles et se cristallisera autour du format du journal intime. De nombreux souvenirs et anecdotes émergeront face à la campagne anglaise (qui n’est pas sans rappeler celle des romans de Jane Austen), et dévoileront un pan plus touchant du personnage, mais toujours entaché de maîtrise. Cette dernière se retrouve jusque dans l’écriture du roman, preuve du génie de l’auteur.

Enfin l’amour contrarié entre Mme Kenton et Mr Stevens amène une certaine frustration et attente pour le lecteur, qui fonde de nombreux espoirs dans leur rencontre à l’issue du voyage…


Kazuo Ishiguro signe un roman élégant et captivant. Fluide et stylistiquement irréprochable, Les vestiges du jour est un parangon de l’écriture anglaise. J’ai personnellement commencé par la version française pour par la suite, apprécier la version originale. Mr. Stevens incarne le vestige du parfait majordome, qui est aujourd’hui en décalage avec les attentes de son époque et qui tombe progressivement dans la désuétude. Mais le vestige peut résister au temps, comme en témoigne l’attribution du prix Nobel à ce roman.

[« Les vestiges du jour » existe également en film. Stevens est joué par l’excellent Anthony Hopkins et Mrs Kenton par l’incroyable Emma Thompson. Il reste selon moi fidèle au roman. Pour voir la Bande annonce ]

 

 

 

 

 

 

 

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